3

La musique du roboband se répercutait en d’étranges distorsions sur les carreaux roses des toilettes : des ouaooo, ouaooo évoquant le miaulement lointain d’un chat électronique. Mélanie se regarda dans le verre craquelé du miroir. La chaleur qui régnait dans la salle du Branché lui avait donné des couleurs. C’était une nuit plutôt douce pour la mi-février.

La Valédrine qu’elle avait trouvée dans l’armoire à pharmacie de sa mère lui procurait des bourdonnements délicieux dans la tête, accompagnés d’une légère sensation d’engourdissement. Elle passa un peigne jaune dans ses cheveux et étudia l’image que lui renvoyait le miroir. Celle d’une fille à moitié chinoise, avec des cheveux châtains et soyeux. Une fille normale, plutôt mignonne, qui s’était rendue à une soirée.

Mignonne, normale, avec des yeux dorés.

Elle examina son visage comme si c’était la première fois qu’elle le voyait, figée devant l’étrangeté de ces yeux qui lui rappelaient, comme un miroir à deux faces, ce qu’elle était en réalité. Une mutante. Et une mutante infirme. Qui pourrait vouloir d’elle ? Mutante ou normale, qui voudrait jamais d’elle ?

Peut-être devrait-elle porter des lentilles de contact. Elle ferma les yeux pour s’imprégner de l’idée ; masquer cette nuance or qui était la marque des mutants sous un marron foncé, ou une teinte noisette. Au moins ressemblerait-elle alors à une jeune Asiatique normale. Imagine ce que ce doit être, se dit-elle, de vivre comme un non-mutant. Quelle sensation bizarre que de marcher dans la rue et se fondre simplement dans la foule…

Brusquement, la porte s’ouvrit et Tiff Seldon entra, en pleine conversation avec Cilla Cole. En voyant Mélanie, elles s’interrompirent aussitôt. Tiff se dirigea vers les toilettes et passa devant elle, toutes épaules dehors. Avec son corps trapu et athlétique, et ses cheveux blonds hérissés en brosse, elle faisait une bonne tête de plus que Mélanie.

— Excuse-moi, dit-elle avec une politesse exagérée en heurtant Mélanie de la hanche.

Celle-ci partit tête en avant, manquant de s’ouvrir le front contre le miroir. Elle se rattrapa juste à temps.

— Hé !

Elle se retourna. On l’avait poussée intentionnellement, elle n’était pas dupe. Cilla était appuyée au mur face au lavabo, ses bras maigrichons croisés devant elle, un joint entre les lèvres, un double anneau d’argent à chaque narine. Ses cheveux étaient peut-être deux ou trois centimètres plus longs que ceux de Tiff, et d’un vert vif. Elle dévisageait Mélanie avec une joie mauvaise.

— Hé toi-même, petit monstre. Si tu nous faisais quelques tours de magie ? lança Tiff dont la voix résonna derrière la paroi du cabinet.

Mélanie jeta son peigne dans son sac et tourna les talons pour sortir. Mais Cilla bloquait le passage.

— On te parle, le monstre. Tu n’entends pas ?

— Laisse-moi passer, Cilla.

Mélanie s’efforçait de rester calme mais elle sentait battre son cœur dans sa poitrine. Tiff et Cilla étaient méchantes et cyniques, comme tous ceux qui maltraitaient les mutants par plaisir.

— Ça n’a aucune manière, dit Cilla en secouant la tête comme pour feindre d’être choquée.

Puis, elle avança sur sa droite et accula Mélanie contre le mur. Celle-ci esquissa un mouvement vers la gauche, mais Tiff surgit devant elle, le visage barré d’un sourire pervers. Tiff glissa une main charnue sous son chemisier et exhiba un couteau dont la lame renvoyait des reflets d’argent sous les lumières fluorescentes. Elle empoigna Mélanie par l’épaule et lui passa à plusieurs reprises la vibrolame devant le visage. L’objet étincelait sous ses yeux.

— Il est mignon, non ? Mon frère ne sait pas que je le lui ai piqué, c’était dans son blouson. (L’haleine de Tiff empestait le vin ou la bière, et dans son regard brillait une lueur particulière.) Je me suis dit comme ça que je ferais bien une petite sculpture. Peut-être me tailler un petit monstre, dit-elle en ricanant.

Les yeux fixés sur le couteau, Mélanie sentit sa gorge se serrer. Allaient-elles vraiment la taillader ?

La lame se rapprocha et se mit à vibrer lorsque Tiff fit mine de la lui passer sous le menton. Mélanie ferma les yeux. Si elle criait, est-ce que quelqu’un l’entendrait ? Germyn, sa cousine, l’attendait au bar. N’allait-elle pas venir la chercher ? Ou peut-être, si je me concentre bien, de toutes mes forces, je vais tout à coup me découvrir le don des mutants. Et je pourrais alors d’un souffle me dégager de la prise de Tiff, flotter jusqu’au plafond et m’échapper. Elle comprima fortement ses paupières, tentant désespérément de soulever les deux filles du sol. Mais plus elle s’y efforçait, plus elle se sentait faible. En désespoir de cause, elle renonça. Elle n’arriverait jamais à rien. Et on ne la laisserait jamais tranquille.

Elle rouvrit les yeux, se demandant à quel moment la lame allait lui trancher la chair et si ce serait très douloureux. Peut-être en mourrait-elle, alors Tiff irait en prison pour le restant de ses jours. Ce n’était pas une si mauvaise idée après tout. Le tireur qui avait abattu trois mutants au World Trade Center il y a dix ans avait bien fini en prison. Sauf que Mélanie n’avait pas vraiment envie de mourir.

— Tiff, ne fais pas ça, supplia-t-elle. Tu le regretteras.

La porte des toilettes s’ouvrit brusquement. Kelly McLeod se tenait sur le seuil, bouche bée, la main crispée sur son sac.

— McLeod, je te suggère de te chercher d’autres toilettes, lança Tiff sur un ton menaçant. Celles-ci sont occupées, ajouta-t-elle, le couteau toujours sous le menton de Mélanie.

Kelly entra, mains sur les hanches.

— Qu’est-ce qui se passe ?

— On fait juste une petite sculpture de monstre, dit Cilla avec un rire nerveux. Tu veux nous aider ?

— Vous êtes folles ? s’écria Kelly d’un air écœuré. Qu’est-ce qu’elle vous a fait ?

Cilla lui jeta un regard mauvais.

— Qu’est-ce que tu en as à fiche ? Tu ne serais pas amoureuse d’un de ces monstres, par hasard ? Tiff, on devrait peut-être la taillader, elle aussi.

— Kelly, va-t’en avant de recevoir un coup, haleta Mélanie.

Mais Kelly ignora le conseil. Elle s’avança, saisit les anneaux de Cilla et tira dessus d’un coup sec. Cilla se mit à hurler en essayant de la gifler des deux mains.

— Lâche-la ! cria Kelly. Lâche-la, j’ai dit !

— Te mêle pas de ça, McLeod, intima Tiff en se désintéressant de Mélanie pour pointer la vibrolame vers Kelly.

— Va te faire voir !

Tiff porta un coup à Kelly McLeod ; mais celle-ci lâcha sa prise sur l’autre fille et esquiva le couteau qui, à la place, alla taillader le bras de Cilla. La fille referma la main sur sa blessure et se mit à gémir tandis que le sang coulait entre ses doigts.

— Ferme-la, Cilla ! hurla Tiff. J’ai du sparadrap dans mon sac. Bon Dieu, je t’ai à peine touchée.

Cilla étouffa un sanglot et entreprit de fouiller dans le sac de Tiff à la recherche d’un pansement. Kelly s’esclaffa.

— Tu fais toujours ce qu’elle te dit ?

— Elle est amoureuse d’un monstre ! beugla Cilla.

Kelly se retourna et lui envoya une gifle du dos de la main. La tête vira vers la droite, le sang éclaboussant le mur de traînées rouges. Tiff jura, repoussa Mélanie et se tourna vers Kelly, le couteau à la main, prête à frapper.

Mélanie entrevit sa chance. Elle bondit sur Tiff, saisit la main qui tenait le couteau et l’approcha de sa bouche pour planter ses dents dans la chair, juste au-dessus du poignet.

Tiff poussa un cri de douleur. Mélanie serra plus fort tandis que la fille se débattait pour lui faire lâcher prise. Mélanie avait dans la bouche le goût salé du sang de Tiff. Le couteau tomba sur les carreaux. D’un coup de pied, Mélanie l’envoya dans l’angle près de la porte. Kelly était toujours aux prises avec Cilla. Il y avait foule à présent dans les toilettes, une foule bruyante surgie de nulle part. Des voix vociféraient autour d’elles.

— Aïe ! Lâche-moi, sale mutante ! hurla Tiff.

Crève ! pensa Mélanie.

— Mesdames ! Arrêtez !

Jeff, le videur noir du Branché, s’interposa entre les filles, tête baissée pour éviter les coups qui pleuvaient autour de lui. Il réussit à séparer Cilla et Kelly, non sans essuyer deux coups de pied dans la mêlée. Ron, son acolyte, un grand costaud au crâne chauve, empoigna Mélanie et Tiff.

— Lâche-la, petite, dit-il en secouant Mélanie sans ménagement.

À contrecœur, Mélanie desserra les dents pour libérer le poignet de Tiff, tout sanguinolent.

D’un air dégoûté, Jeff les poussa vers la porte.

— Ce sont les filles les pires, dit-il à Ron qui hocha le menton en connaisseur.

— Ouais, vicieuses, renchérit-il d’un ton bourru.

— Bon, je ne veux pas savoir de quoi il s’agit ni qui a commencé, fit Jeff d’un ton sévère. Vous connaissez le règlement : pas de bagarres au Branché. Droits d’entrée annulés pendant quinze jours. Allez, dehors !

Le silence régnait dans la boîte ; on avait même éteint le roboband. Des rangées de visages suivirent du regard Tiff et Cilla qui filaient vers la sortie en poussant force jurons. À la porte, Tiff s’arrêta.

— Hé, le monstre, tu ne perds rien pour attendre ! cria-t-elle.

Mélanie lui adressa un geste obscène, que Tiff lui retourna avant de sortir en serrant son poignet blessé. Jeff maintint la porte ouverte.

— Dehors, mesdames. C’est valable aussi pour vous deux.

Mélanie chercha Germyn dans la foule, puis renonça. Sa cousine était probablement rentrée chez elle avec son glisseur aux premiers signes d’échauffourée. C’est aussi bien comme ça, se dit Mélanie qui n’avait jamais apprécié la compagnie de Germyn. Décrochant sa parka orange de la patère, elle sortit sur le parking. Kelly la suivit sans un mot. La jeune mutante l’observa du coin de l’œil. Pourquoi l’avait-elle aidée ? À part quelques cours communs, elles se connaissaient à peine.

Le silence s’épaissit. Finalement, Mélanie ne put se retenir plus longtemps.

— Merci, lâcha-t-elle. Tu n’étais pas obligée de faire ça, tu sais.

Kelly haussa les épaules.

— Je n’allais pas rester plantée là et les laisser t’écorcher, hein ? Et puis, je ne peux pas les sentir, ces pimbêches. Mais à l’avenir tu devrais faire attention. À la moindre occasion, elles vous agressent.

— Comme si je ne le savais pas, dit Mélanie, pleine d’amertume. Mais ce sont elles qui m’ont cherchée. Je ne leur demandais rien.

— Je te crois, dit Kelly en donnant un coup de pied dans un caillou.

Mélanie s’arrêta, faisant soudain le rapprochement.

— Tu sors avec mon frère, n’est-ce pas ? lança-t-elle.

— Oui.

Elle regarda plus attentivement sa libératrice. Kelly était jolie, pour une non-mutante. Avec ces cheveux noirs et ces grands yeux bleus. Mais à part ça, que pouvait bien lui trouver Michael ? Jena était beaucoup plus sexy, selon elle, et fantastiquement douée pour les sports et la gymnastique télékinésique. Mais peut-être Michael n’en avait-il rien à faire.

Kelly avait l’air d’attirer les garçons bien davantage que Jena. À la fac, il y avait toujours des normaux qui tournaient autour d’elle ; la moitié de l’équipe de football, à tout le moins, encore qu’elle ne leur manifestât pas le moindre intérêt. Bon, peut-être avait-elle un faible pour les mutants. Ça arrivait parfois. Mélanie se rappela le garçon au visage couvert de taches de rousseur qu’elle avait eu sur les talons pendant six mois alors qu’elle était en seconde année. Les groupies de mutants, comme elle les appelait. Après tout, son frère était peut-être un groupie de normales. En tout cas, il était fou de risquer le blâme du clan simplement pour sortir avec une normale, même aussi attirante que Kelly McLeod.

— Je peux te ramener ? demanda Kelly.

— Oui. Ma cousine a dû m’oublier en route. J’espère que ça ne te dérange pas.

— Pas de problème. Viens.

Kelly conduisit Mélanie vers un glisseur gris argent.

— Très beau, dit la jeune mutante d’un ton envieux. Il est à toi ?

— À ma mère. Monte, dit Kelly en ouvrant la portière.

Puis elle appuya sur le démarreur, avec pour seul résultat un grondement étouffé. Elle fit une deuxième tentative. Le moteur se refusa à partir.

— Zut !

Kelly ouvrit le capot de l’intérieur et sortit du glisseur. Un instant plus tard, elle revenait, la main pleine de fils orange, la mine sinistre.

— Que s’est-il passé ? demanda Mélanie.

— Les fils du démarreur ont été sectionnés, répondit Kelly. Je parie que c’est cette garce de Tiff. Je ne pensais pas qu’elle aurait eu le temps.

Elle alla à l’arrière du glisseur et se mit à fouiller dans le coffre. Mélanie la rejoignit.

— Que va-t-on faire, maintenant ?

Elle se sentait impuissante. Elle n’avait jamais compris grand-chose à la mécanique.

— Je crois que je peux bricoler un raccord de fortune avec le fil que mon père garde dans sa trousse à outils, dit Kelly en sortant quelque chose du coffre et en repartant aussitôt vers l’avant du véhicule. Il en laisse toujours en dépannage dans le glisseur, au cas où. Là, tiens-moi ça, fit-elle en tendant une lampe de poche à Mélanie. Éclaire-moi ici.

Penchée sur le moteur, elle entreprit un rafistolage sur une pièce qui se présentait comme une double rangée de fiches métalliques, autour desquelles elle passa un fil vert tout en resserrant de temps à autre une bobine à l’aide d’un petit tournevis.

— Lève un peu la lampe, veux-tu ?

Mélanie s’empressa d’obtempérer.

Avec un grognement, Kelly se redressa et s’essuya les mains à un chiffon.

— Là. Espérons que ça va marcher.

Elle se pencha au-dessus du siège du chauffeur et appuya sur le bouton du démarreur. Durant quelques secondes, rien ne se produisit. Puis, avec un grincement plaintif, le moteur se réveilla. Soulagées, les filles échangèrent un sourire. Kelly alla remettre les outils dans le coffre.

— Où as-tu appris ça ? demanda Mélanie stupéfaite.

— Mon père est un cinglé de la mécanique, répondit Kelly. Ça vient sans doute du temps où il était pilote. Je l’ai embêté jusqu’à ce qu’il m’apprenne à bricoler. (Kelly engagea le glisseur vers la sortie du parking.) Michael trouve ça drôle que je sache manier les outils.

— Ça fait combien de temps que vous sortez ensemble ?

— Deux mois environ. Depuis que vous êtes revenus de ce rassemblement de vacances ou je ne sais quoi.

— Alors, c’est que tu y tiens vraiment, avança Mélanie.

— Oui, j’y tiens.

Kelly arrêta le glisseur à une intersection, le temps que le feu passe au vert.

— On dirait que tu n’approuves pas, ajouta-t-elle en regardant Mélanie.

Celle-ci eut un instant d’hésitation. Certes, ce n’était un secret pour personne que les mutants restaient entre eux, mais elle n’avait pas spécialement envie de révéler leurs usages à une étrangère. Toutefois, dès lors que Kelly était prête à s’engager avec Michael, autant qu’elle sache la vérité.

— Pour moi, il n’y a pas de problème. Mon frère a l’air heureux. Mais mon père aurait une attaque s’il apprenait ce qu’il en est.

— Pourquoi ?

— Les mutants ne sont pas censés fréquenter des gens qui n’appartiennent pas au clan.

Kelly lui lança un regard ébahi.

— Tu plaisantes ?

— Non. On tolère d’avoir des amis non mutants. À la rigueur. Mais c’est tout. Les mariages ne se font qu’entre personnes du clan. Nous essayons de conserver et protéger nos membres au cas où les choses tourneraient mal à nouveau, comme dans les années 90.

— Un camp retranché ?

— En quelque sorte.

Le feu passa au vert.

— Et si tu n’épouses pas quelqu’un du clan ?

— Tu risques le blâme. Ou pire.

— Le blâme ? s’esclaffa Kelly. Qu’est-ce que ça signifie ? On vous tape sur les doigts ? Ou on vous envoie au lit sans dîner ?

— Il n’y a pas de quoi rire, protesta Mélanie. C’est dur. Les membres qui font l’objet d’un blâme sont bannis du clan.

— Difficile à imaginer, commenta Kelly en écartant d’une pichenette une mèche de ses yeux. Ça fait penser à un culte du temps jadis.

— Pour toi, peut-être, dit Mélanie d’un ton froid. Mais c’est ainsi que ça se passe chez nous. Et si tu tiens à voir mon frère, il vaudrait mieux que tu sois au fait des risques qu’il prend pour toi.

Un moment Kelly garda le silence, concentrant son attention sur la route zébrée par les lumières rouges, jaunes, vertes, des glisseurs qui les doublaient.

— Merci pour le conseil, dit-elle doucement. Je ne voulais pas être désagréable. Ni me moquer.

— Laisse tomber. Et tes parents, qu’est-ce qu’ils en disent que tu fréquentes mon frère ?

Kelly haussa les épaules.

— Ça ne les rend pas fous de joie mais ils font avec. Je sais que Michael plaît bien à ma mère. Mon père, lui, reste poli.

— Ça te permet au moins d’amener Michael chez toi et de le leur présenter. Mais je doute que tu aies l’occasion de rencontrer mes parents. Et à mon avis, tu ne serais pas à l’aise avec mon père.

— Eh bien, moi, mes parents ont bien aimé la séance de lévitation que leur a faite Michael. J’ai dû le supplier pour qu’il s’exécute. Et toi, c’est quoi, ton don ?

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Quel pouvoir as-tu en tant que mutante ?

— Aucun. Je suis une infirme, répondit Mélanie en s’enfonçant dans son siège et en essayant de dissimuler son amertume.

— Ah bon ? J’ignorais qu’il existait des infirmes chez les mutants.

— Oui. Ça arrive parfois. Je suis la seule de la famille à ne pas posséder le moindre milligramme de talent. Difficile à croire, non ? Mes parents font tout ce qu’ils peuvent pour accepter cela, mais je sais qu’ils sont déçus. Quelquefois, je me dis que je ne suis pas vraiment une mutante. Peut-être m’a-t-on échangée à la naissance avec un bébé mutant, à l’hôpital.

— Dans ce cas-là, d’où, tiendrais-tu ces yeux ?

Mélanie laissa échapper un soupir.

— Tu vois, même mes théories sont dysfonctionnelles.

Avec un petit rire de sympathie, Kelly s’arrêta devant la maison de Mélanie. Elle coupa le moteur et regarda la jeune fille.

— Écoute, j’apprécie beaucoup que tu me parles de ça, Mélanie. Tu sais, je tiens vraiment à ton frère. Et, en dépit de tout ce que tu m’as dit, j’espère que nous serons amies.

— Ou-oui. Bien sûr, si tu veux. (Hochement de tête de Kelly.) Merci de m’avoir ramenée.

Mélanie sortit du glisseur dont elle referma la portière. Elle attendit que Kelly eût reculé dans l’allée, les phares jaunes ouvrant un sentier à travers l’épaisseur de la brume. Comme c’est étrange, songea-t-elle, de s’être fait une nouvelle amie à cause d’une bagarre. Et en plus une non-mutante.

 

McLeod jeta un regard horrifié sur le bleu qui marquait le visage de sa fille aînée. Et cette tache rougeâtre sur son vêtement, c’était quoi ? Assise à côté de lui sur le canapé, sa femme leva les yeux de sa lecture, inquiète.

— Que s’est-il passé ? demanda le père.

— Je me suis battue au Branché.

— Battue ?

— Oui, dans les toilettes. Deux filles qui cherchaient des crosses à Mélanie Ryton. Elles avaient une vibrolame.

— Un couteau ? (L’estomac de McLeod se serra. C’était donc du sang sur le chemisier de sa fille ?) Tu es blessée ?

— Non. Et puis, c’était un petit couteau.

— Ainsi, tu t’y connais en couteaux, dit-il d’un ton acerbe. Voilà qui me rassure ! Et qui est cette Mélanie Ryton ? Elle est de la famille de Michael ?

— C’est sa sœur.

McLeod secoua la tête. Encore un Ryton. Ne serait-il jamais débarrassé de cette fichue famille ?

— Tu es sûre que ça va ? s’inquiéta Joanna.

— Très bien, maman. Juste un peu secouée.

— Qu’est-ce qui t’a pris de te mêler de cela ? fit McLeod.

Kelly lui lança un regard révolté.

— D’après toi, j’étais censée faire quoi ? Rester là et admirer le spectacle ?

Ce qui eut pour effet de mettre McLeod en fureur.

— Kelly, tu aurais pu être blessée. Et je ne suis pas loin de penser que tu l’aurais peut-être mérité.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Je veux dire que tu cherches les ennuis. Toujours à traîner avec des mutants. Tu vois ce que ça te rapporte ? Tu n’as pas d’autres amies ?

— Bill ! s’écria Joanna visiblement choquée.

Kelly s’appuya contre le mur, mains dans les poches.

— Papa, Mélanie est inoffensive. Elle n’a même aucun pouvoir, contrairement aux autres. Des yeux bizarres, mais c’est tout. Tout le monde la traite comme un chien parce que c’est une mutante. Et moi, je n’aime pas ça.

— Mais naturellement, reconnut Joanna. Nous t’avons toujours dit d’agir selon tes idéaux, n’est-ce pas, Bill ?

McLeod hocha la tête d’un air impatient.

— Oui, bien sûr, nous l’avons dit. Mais là n’est pas la question. Combien de fois faudra-t-il te répéter de ne pas aller fourrer ton nez dans leurs histoires ? Tu n’as rien à faire avec ces mutants. Pourquoi ne te trouves-tu pas des amies convenables, avec des yeux normaux ?

Kelly lui jeta un regard indigné.

— Parfait. Première chose demain, dis à Cindy qu’elle n’a plus le droit de voir Reta. On va décréter un moratoire sur les mutants. Nous serons désormais les McLeod, les célèbres McLeod, ennemis farouches de tous les mutants. (Sa voix était devenue perçante.) Je me fiche de ce que tu penses des mutants. Moi, je les aime bien.

— Bill, tout ça me donne mal à la tête, intervint Joanna d’un ton irrité. Si tu arrêtais un instant ?

Bientôt, pensa McLeod, on va dire que tout ça est de ma faute.

— Je n’arrêterai pas, fit-il, sur la défensive. Kelly, je ne veux pas t’interdire de voir ces mutants, mais je serais très heureux que tu passes davantage de temps avec d’autres gens. Et que tu mettes un terme à cette idylle avec Michael Ryton. Tu as toujours eu l’embarras du choix pour ce qui est des garçons. Pourquoi faut-il que tu ailles fréquenter un mutant ?

— Bon Dieu, la moitié du temps j’ai l’impression d’en être un dans cette famille ! répliqua Kelly. Pourquoi n’aurais-je pas le droit de les aimer ? Je n’ai pas l’intention de cesser de voir Michael. Il est plus intéressant que tous les autres types que j’ai jamais rencontrés. C’est un mutant ? Eh bien, et après ?

— Kelly, calme-toi, dit Joanna. Ton père est simplement contrarié à cause de cette bagarre au couteau. Comprends-le. Tu arrives le visage couvert de bleus, les vêtements pleins de sang…

— Juste quelques éclaboussures.

— … et tu viens nous raconter que tu t’es battue dans un bar.

— Oui, je sais, dit Kelly en se dandinant d’un pied sur l’autre, l’air gêné. Je suis désolée. Vous auriez peut-être préféré que je vous mente ?

— Non, bien sûr que non. Et c’est bien d’avoir pris la défense de Mélanie. Je suis fière de toi. Ton père aussi, d’ailleurs.

McLeod sentit sa fureur revenir.

— Jo, ne parle pas de moi comme si je n’étais pas là.

— Papa, elle cherche simplement à te calmer.

McLeod se demanda depuis quand sa fille usait avec lui de ce ton condescendant. Ça ne lui plaisait pas du tout.

— Tu comprends notre point de vue, n’est-ce pas ? poursuivit Joanna. Cela peut être dangereux de trop fréquenter les mutants.

Kelly haussa les épaules.

— Oui, je comprends ce que tu essaies de me dire, maman. Mais si c’était moi qui m’étais trouvée à la place de Mélanie, tu aurais bien voulu que mes amies viennent à mon aide ?

— Naturellement.

— Alors, où est la différence ? Qu’est-ce que ça fait que Mélanie soit une mutante ? C’est mon amie. D’autant qu’elle n’est même pas capable de faire ce que font les autres mutants.

— Je n’ai jamais rien entendu de la sorte, dit sèchement McLeod.

— Pourtant, c’est la vérité.

— Ce doit être dur pour elle, remarqua Joanna en fronçant le sourcil.

Un instant, la mauvaise humeur de McLeod retomba. Pauvre petite Mélanie, coincée entre deux univers. Puis, il pensa à son père, le froid et distant James Ryton, et sa colère revint.

— Écoute, je suis bien conscient que ce ne doit pas être facile pour elle à l’université. Mais c’est le lot d’un tas d’autres personnes. Dont certaines ne sont même pas des mutants. Elle a d’autres amies. Des amies mutantes. Fais donc un meilleur usage de ta compassion, Kelly.

— J’aurais aimé être une mutante un petit quart d’heure, là-bas, dans les toilettes. J’aurais envoyé valser Tiff Seldon dans les cabinets et lui aurais administré un bon shampooing, dit Kelly avec un gloussement.

Comprenant qu’elle cherchait à le dérider, McLeod se força à sourire. Mais une image se forma dans son esprit, celle du visage de Kelly, celui qu’il lui connaissait, sauf pour les yeux qui revêtaient une teinte dorée. Il réprima un frisson. Sa colère s’était consumée, ne laissant que les braises vacillantes de l’accablement.

— Oublions ça, d’accord ? Si tu allais te changer ?

Il se détourna des deux femmes et, allumant l’écran du salon, il sélectionna les finales de basket-ball en apesanteur. Il n’avait qu’une envie, celle de penser à autre chose qu’aux mutants.

 

La maison était plongée dans une semi-obscurité, éclairée par les seuls lumignons qui jalonnaient le sol de ce bleu et ce vert doux aux yeux des mutants. Un chant guttural flotta jusqu’à Mélanie depuis les haut-parleurs tubulaires en cuivre du salon. Le psaume de la détermination, tiré du troisième livre des Chroniques ; c’était l’une des invocations préférées de son père. Hormis cela, le silence régnait dans la maison, un silence pesant. Le monde extérieur semblait totalement absent. Banni.

— Je suppose que tu as une explication ? dit James Ryton en voyant entrer sa fille les vêtements en désordre.

Le ton était glacé. Mélanie rasa le mur, comme si elle voulait se fondre dans la pénombre. Elle connaissait trop bien son père pour s’attendre à un réconfort de sa part. Si seulement Kelly avait pu l’accompagner jusque chez elle !

— Eh bien ? Qu’as-tu à dire, jeune fille ?

Mélanie lança un regard vers sa mère, pelotonnée sur le canapé comme une chatte. Celle-ci lui adressa un sourire encourageant. Mélanie respira un grand coup et se jeta à l’eau.

— Deux filles m’ont sauté dessus dans les toilettes. L’une d’elles avait un couteau. Elle avait bu. Elle voulait me taillader le visage.

— Ces salauds de normaux ! Ils ne seront contents que lorsqu’ils nous auront tous supprimés !

— James ! s’exclama Sue Li en lui décochant un regard sévère. Continue, ma chérie, dit-elle en se tournant vers sa fille. Que s’est-il passé ensuite ?

— Kelly McLeod est arrivée et m’a aidée à m’en défaire.

— La fille de McLeod t’a aidée ? Une non-mutante ? s’étonna son père.

— Euh… oui.

— Comment se fait-il que tu la connaisses ? demanda sa mère d’une voix calme.

— Nous avons deux cours en commun.

Mélanie regarda son père arpenter la moquette, le visage crispé par la colère, hagard. Une veine battait à son front, ce qui ne présageait rien de bon.

— Et que faisais-tu pour que ces filles t’agressent ?

— Rien. J’étais en train de me coiffer.

— Seule ?

— Oui.

— D’abord, je ne vois pas ce qui t’attire dans les endroits que fréquentent les non-mutants. Où était Germyn ? Je croyais que tu sortais avec elle ce soir.

— Elle est partie dès que ça a commencé à mal tourner. Comme d’habitude.

Mélanie vit la bouche de sa mère esquisser ce qui se voulait peut-être un sourire, rapidement effacé. Son père, quant à lui, n’avait pas l’air de trouver ça drôle.

— À rôder toute seule comme tu le fais, bien sûr que tu deviens une cible facile, dit-il.

— Ainsi, c’est ma faute ? s’emporta Mélanie. C’est moi qui ai demandé qu’on me menace avec un couteau ?

— Ne prends pas ce ton avec moi, ma fille.

— James, intervint la mère, tu es trop bouleversé pour qu’on discute de ça maintenant. On en parlera plus tard.

— N’essaie pas de m’amadouer, Sue Li. Tu sais ce que je pense de l’idée de fréquenter les normaux. Des dangers que cela représente.

— Oui, bien sûr. Mais je trouve ta réaction exagérée. Nous ne sommes plus dans les années 90, James. Je ne vois pas ce qu’il y a de mal à ce que Mélanie rencontre des non-mutants une fois en passant. (Sue Li s’interrompit un instant.) Tous les jeunes vont au Branché. Elle n’a pas cherché la bagarre. S’il arrive que l’un d’eux boive un peu trop et devienne agressif, bon, ce n’est quand même pas la faute de Mélanie. Si tu veux mon avis, ça aurait pu être bien pire.

Mélanie regarda sa mère. Elle ressemblait à un petit bouddha féminin dans son pull couleur gingembre. Empreinte de sérénité. Cherchait-elle à influencer chacun des membres de la famille ? Ce ne serait pas la première fois qu’elle mettrait fin à une discussion en usant de ses subtils dons télépathiques.

— Sue Li, je ne te permettrai pas de me détourner du sujet, rétorqua Ryton. L’entêtement que mettent nos enfants à rechercher la compagnie des normaux présente des dangers certains. Je n’aime pas ça.

— Je ne vois pas comment je pourrais l’éviter, rétorqua Mélanie. Nous ne sommes pas assez nombreux pour avoir une université réservée aux mutants. Et je ne vais pas passer ma vie entière à fuir les normaux.

— Disons que tu peux montrer un peu plus de discernement dans le choix des lieux que tu fréquentes et de tes occupations. Et je t’interdis de revoir cette McLeod.

Le ton était sec. La lèvre inférieure de Mélanie se mit à trembler.

— Mais, papa, elle m’a aidée. Et elle veut qu’on soit amies.

— Tu as des amies dans le clan.

— Oh oui, parlons-en ! Personne dans le clan, et tu le sais très bien, n’a vraiment envie d’être ami avec moi. D’accord, ils sont tous très gentils, mais ils me traitent comme si j’avais le cerveau non pas simplement incapable d’agir mais carrément dérangé. Et toi, tu fais pareil.

Pour une fois, son père resta sans voix. Il la dévisagea comme s’il ne l’avait jamais vue. Mélanie eut beau se dire qu’elle devrait s’en tenir là et gagner la retraite de sa chambre, elle ne parvenait pas à réprimer sa rage. Les mots qu’elle avait contenus des années durant éclatèrent.

— Apparemment, je ne suis pas fichue de rendre quelqu’un heureux autour de moi ! cria-t-elle. À la fac, je me fais houspiller parce que je suis une mutante. À la maison et aux réunions du clan, vous me regardez comme si j’avais trois têtes. Oh, je sais que vous vous imaginez que je ne vous vois pas, mais vous vous trompez. Et je sais aussi ce que vous pensez : « Pauvre fille, une infirme, qui voudra d’elle ? Qui au clan acceptera de l’épouser ? C’est bien gênant d’avoir une fille souffrant de dysfonction. Pourquoi a-t-il fallu que ça nous arrive, à nous ? »

— Oh, Mélanie, tu ne devrais pas dire ça, réagit sa mère sur un ton où l’horreur avait remplacé la sérénité.

— Ah non ? fit la jeune fille en se tournant vers elle. Mon propre père est tellement occupé à me reprocher tout ce que je fais qu’il n’a pas l’air de saisir qu’on m’a menacée avec un couteau ! Évidemment, ça vous aurait tous arrangés, n’est-ce pas ?

Elle se tut, assez contente de voir sa mère devenir toute pâle et son père se figer dans une attitude horrifiée.

— Mélanie, dit sa mère, tu ne te rends pas compte de ce que tu dis. Comment peux-tu parler ainsi ?

La voix maternelle se brisa sur le dernier mot. Mélanie ressentit une pointe de culpabilité : elle avait blessé sa mère, alors qu’elle n’avait pas vraiment voulu ça. Mais n’était-ce pas la vérité après tout ? Ne seraient-ils pas tous soulagés si elle n’était plus là ?

Son père fit mine de vouloir mettre fin à la discussion.

— Allons, tu dis des bêtises. Tu te conduis comme une enfant. Tout le monde t’aime et ne veut que ton bien. Tu t’imagines des choses. Tu t’inventes des cauchemars.

Ils se regardèrent tous les trois, dans un silence glacé. Finalement, la mère se leva.

— Il est tard. Nous sommes tous fatigués. Allons nous coucher. Demain, ça ira mieux.

Mélanie avait de la peine pour eux. Ils ne supportaient pas la vérité. Elle, oui. Elle n’avait pas le choix.

— Bonne nuit, maman. Papa.

Elle les laissa là et rejoignit sa chambre. Une fois la porte refermée, elle débrancha la lumière infrarouge avant que celle-ci ne se déclenche automatiquement à la chaleur de son corps, éclairant la pièce. Elle préférait rester dans l’obscurité.

Assise sur son lit, les genoux repliés contre sa poitrine, elle se repassa les événements de la soirée. La bagarre dans la boîte. La conversation avec ses parents. Elle ne pouvait pas continuer à vivre ainsi. Elle n’en avait aucune envie.

 

Bill McLeod se tourna dans son lit et consulta l’horloge murale aux chiffres orange phosphorescent : quatre heures du matin. À ses côtés, Joanna dormait d’une respiration profonde et régulière. Il n’aspirait qu’à l’imiter mais, chaque fois qu’il fermait les yeux, la voix de Kelly résonnait dans sa tête et chassait le sommeil.

La moitié du temps, j’ai l’impression d’être un mutant dans cette famille.

Bon, c’est le genre de choses qu’on dit sous l’emprise de la colère. Kelly se défendait contre son père et ses arguments massue. Ses paroles avaient sans doute dépassé sa pensée.

Et si tel n’était pas le cas ? Elle paraissait si distante ces jours-ci. Une étrangère. Qu’avait-il fait – ou omis de faire – pour se la mettre ainsi à dos ? Oh, et puis zut, tous les enfants avaient des périodes de révolte contre leurs parents. Une façon de revendiquer leur territoire. Lui-même, n’avait-il pas passé une nuit entière à marcher sur la plage quand il avait quatorze ans ? Son père lui avait tanné le cuir lorsqu’il était rentré. Mais en grandissant, il avait perdu ce besoin de promenades solitaires le long de la plage, surtout lorsqu’il était dans l’armée de l’Air. Et aujourd’hui, ancré à ses fonctions administratives, il n’avait plus guère de temps à consacrer aux problèmes de révolte. Avec tous ces contrats à traiter.

Joanna faisait un travail héroïque avec les gosses. Et lui faisait de son mieux pour participer, pour être présent, pour éviter de donner son avis chaque fois qu’il jugeait préférable qu’ils apprennent par eux-mêmes…

Ah, ces foutues opinions ! McLeod serra les poings de frustration. Il se devait, certes, d’observer une certaine bienséance vis-à-vis des mutants. Mais ils lui donnaient la chair de poule. Même à l’armée, il s’en était tenu à l’écart. À cause d’eux, sa fille avait failli se faire tabasser. Ou pire. Et voilà qu’aujourd’hui elle voulait sortir avec ce garçon…

La moitié du temps, j’ai l’impression d’être un mutant dans cette famille.

— Bill, si tu n’arrêtes pas de bouger, je n’arriverai jamais à dormir, grommela Joanna d’une voix somnolente. Qu’est-ce que tu rumines encore ? C’est Kelly ?

— Oui.

— Un peu de patience. C’est de son âge, tu le sais.

— Grâce à Dieu, on n’a dix-sept ans qu’une fois.

— Amen, fit Joanna en se blottissant contre son mari dans le noir. Qu’est-ce qui te tracasse exactement ?

— Cette remarque qu’elle a faite, qu’elle se sent comme un mutant. Tu crois qu’elle le pensait vraiment ?

Joanna eut un petit rire.

— Bien sûr. Au moment où elle l’a dit. Elle voulait seulement te choquer. Et on dirait bien qu’elle y a réussi.

— Elle a l’air malheureuse. Ça me donne du souci.

— Je ne pense pas qu’elle soit plus malheureuse que je ne l’étais à son âge. Ou toi.

— Et pourtant elle n’est privée de rien ici !

— Bill, si tu cessais de t’inquiéter. Tu es un père formidable. Oublie un peu cette histoire de mutant. Pour moi, ça lui donne quelque chose contre quoi se révolter. Je suis certaine qu’elle finira par perdre cette fascination qu’elle éprouve pour eux ; sois patient.

— C’est ton domaine, pas le mien.

— Écoute, j’ai une idée qui devrait te faire oublier complètement tes inquiétudes…

Elle commença à l’embrasser dans le dos, puis lui caressa la poitrine de ses lèvres, et descendit lentement.

— Pourquoi ai-je parfois le sentiment qu’on me traite comme un objet sexuel ?

Malgré la lueur que diffusait l’horloge, il faisait trop sombre pour qu’il pût distinguer son sourire. Mais il le devina à sa voix :

— Arrête de te plaindre. Laisse-toi aller et profites-en.

Les Mutants[1]La saison des mutants
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